La diversité des approches de gouvernance : un reflet des contextes, pas une confusion

Cet article explore la diversité des approches de gouvernance des données, soulignant leur adaptation aux contextes organisationnels spécifiques et leur évolution constante. Il met en évidence les limites des classifications traditionnelles et propose une approche basée sur la logique directrice, offrant une meilleure compréhension des objectifs et des impacts de la gouvernance.

GOUVERNANCE DES DONNÉES

Charles Ngando Black

8/6/20255 min temps de lecture

looking up at tall buildings in a city
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1. Introduction

La gouvernance des données s'est imposée comme une priorité pour les organisations, qu'elles soient publiques ou privées, techniques ou réglementaires, stratégiques ou opérationnelles. Pourtant, malgré cet enjeu commun, les approches mises en œuvre varient considérablement d'une organisation à l'autre. Certaines favorisent la mise en place de rôles et de comités, d'autres insistent sur la structuration des métadonnées, d'autres encore misent sur la responsabilisation locale ou l'intégration aux processus métiers. Ce constat ne doit pas être interprété comme une confusion ou une immaturité du domaine, mais plutôt comme le résultat d'une diversité de logiques sous-jacentes, alimentée par la complexité croissante des données et les besoins spécifiques des organisations.

2. Pourquoi la gouvernance des données se déploie-t-elle sous des formes aussi variées ?

Cette diversité s'explique d'abord par la variété des contextes dans lesquels les organisations opèrent. Les obligations réglementaires, les exigences sectorielles, les contraintes techniques, les ambitions stratégiques et les objectifs de performance peuvent orienter les démarches de gouvernance dans des directions très différentes. Une organisation bancaire exposée à BCBS 239 ne mobilisera pas les mêmes leviers qu'un industriel qui organise ses données produits pour des besoins de fiabilisation. De plus, la complexité et la volumétrie croissante des données, ainsi que leur évolution rapide, exigent des approches de gouvernance flexibles et adaptables.

Par ailleurs, la gouvernance des données ne dispose pas d'un point d'entrée unique dans l'organisation. Selon les cas, elle peut être portée par la direction des systèmes d'information, les métiers, la direction financière, les risques, la qualité, la conformité, voire directement par la direction générale. Chaque sponsor imprime à la gouvernance une orientation différente, en fonction de ses priorités propres. Il n'est pas rare que plusieurs initiatives coexistent sans coordination, ce qui accentue encore la diversité des approches perçues. Les différences de taille et de structure des organisations, ainsi que leurs objectifs stratégiques spécifiques, contribuent également à cette variété.

Enfin, la gouvernance des données est un domaine évolutif. Dans certaines organisations, elle a été introduite pour se conformer à des règles. Dans d'autres, elle a été conçue comme un levier de valorisation. Ailleurs encore, elle s'est imposée comme un facteur d'amélioration continue. Il est donc naturel que les pratiques résultantes diffèrent, car elles dépendent à la fois de l'objectif initial, du degré de maturité atteint, et de l'ambition future. Les avancées technologiques, telles que le cloud, l'intelligence artificielle et le big data, continuent de façonner et de complexifier le paysage de la gouvernance des données. Les enjeux de conformité et de sécurité, notamment les réglementations comme le RGPD et la nécessité de protéger les données contre les cyberattaques, ajoutent une couche supplémentaire de complexité et influencent les approches adoptées.

Cette diversité trouve son illustration dans les pratiques sectorielles. Une organisation bancaire confrontée aux exigences BCBS 239, comme BNP Paribas avec son programme RaDAR, privilégiera une gouvernance fédérée où chaque entité bancaire gère ses données de risque selon des standards communs, pour garantir la cohérence des remontées réglementaires. Un industriel comme Renault organisera plutôt sa gouvernance par gamme de produits, donnant aux équipes la maîtrise de leurs référentiels techniques pour accélérer le développement. Dans le secteur de la santé, l'AP-HP combine gouvernance centralisée pour les données patients et décentralisée pour la recherche, répondant ainsi à des exigences contradictoires de sécurité et d'innovation.

3. Les limites des classifications usuelles

Pour appréhender cette diversité, plusieurs typologies ont été proposées. La plus courante distingue les modèles organisationnels (centralisé, décentralisé, fédéré). Ces modèles ont le mérite de décrire la structure de responsabilité, mais ne renseignent ni sur les objectifs poursuivis, ni sur les moyens mobilisés, ni sur les effets attendus. D'autres typologies classent les approches selon les domaines de gestion (qualité, sécurité, référentiel, métadonnées). Elles renseignent sur les objets de gouvernance mais pas sur les logiques qui les sous-tendent.

Ces classifications sont donc utiles, mais insuffisantes. Elles rendent partiellement compte de la diversité observée et ne permettent pas de comparer ni de choisir une approche en connaissance de cause. Elles ne distinguent pas, par exemple, une démarche qui vise à structurer la responsabilité d'une autre qui cherche à transformer les usages. Or, c'est cette distinction qui est centrale pour comprendre la portée véritable d'une approche de gouvernance. Il est crucial de reconnaître que la gouvernance des données ne se limite pas à la mise en place de structures ou de processus, mais qu'elle doit également prendre en compte les aspects humains et culturels, ainsi que les changements organisationnels nécessaires pour favoriser une utilisation efficace et responsable des données.

4. Vers une typologie raisonnée des approches

Une autre lecture est donc nécessaire. Elle consiste à regrouper les approches non selon leur structure ou leur objet, mais selon leur logique directrice. Cette grille permet de mieux comprendre ce que chaque approche cherche à produire : un cadre, une organisation, un effet sur les pratiques, un alignement stratégique.

La logique directive impose un cadre normatif pour réduire les risques réglementaires. La logique structurante organise les responsabilités par la création de comités et de rôles. La logique fonctionnelle améliore les processus métier par l'intégration de la gouvernance aux workflows. La logique transformationnelle modifie les comportements par la formation et l'accompagnement. D'autres logiques émergent : patrimoniale pour valoriser les données comme actifs, opérationnelle pour optimiser la performance, ou stratégique pour aligner sur les objectifs d'entreprise.

Cette typologie sera détaillée dans un prochain article qui mettra en lumière ces approches, illustrées, comparées et positionnées. Cette diversité n'est ni un dysfonctionnement ni un état transitoire, mais une réalité structurelle issue de contextes et d'objectifs différents.

5. Conclusion

Comprendre pourquoi il existe autant d'approches de la gouvernance des données est une première étape essentielle. Cette lecture invite à considérer chaque démarche non comme un modèle unique à appliquer, mais comme une réponse contextuelle à des besoins et des objectifs particuliers.

La typologie par logique directrice offre un cadre d'analyse plus riche que les classifications traditionnelles. Elle permet aux organisations de mieux cerner leurs besoins réels, de choisir les approches adaptées à leur contexte, et d'anticiper les évolutions nécessaires. Cette compréhension des logiques sous-jacentes constitue un préalable indispensable à toute démarche de gouvernance réussie.

Bibliographie

Khatri, V., & Brown, C. V. (2010). Designing data governance. Communications of the ACM, 53(1), 148-152.

MIT CISR. (2019). Data governance research: How organizations are managing data as an asset. MIT Center for Information Systems Research.

Ngando Black, C. (2023). Data office et directeurs des données : Le guide définitif. Books on Demand.

Weber, K., Otto, B., & Österle, H. (2009). One size does not fit all—a contingency approach to data governance. Journal of Data and Information Quality, 1(1), 4.