Comment articuler ou choisir les approches dans une organisation ?
La gouvernance des données est cruciale pour répondre aux exigences réglementaires, créer de la valeur et améliorer l'efficacité opérationnelle. Les organisations doivent choisir ou combiner les approches de gouvernance des données en fonction de leurs objectifs stratégiques, de leur niveau de maturité et de leurs contraintes internes. Cet article propose une grille d’aide à la décision et des profils organisationnels types pour guider les organisations dans leurs choix. En adoptant une ap-proche structurée et contextualisée, elles peuvent améliorer leur performance et leur compétitivité.
GOUVERNANCE DES DONNÉES
Charles Ngando Black
8/6/20256 min temps de lecture
1. Introduction
Disposer d'une grille de lecture des approches de gouvernance des données ne suffit pas : encore faut-il pouvoir l'utiliser pour orienter l'action. Faut-il choisir une seule approche ? Peut-on en combiner plusieurs ? Existe-t-il des évolutions naturelles entre elles ? Cet article propose des repères concrets pour guider les organisations dans leurs choix, en fonction de leurs objectifs, de leur contexte et de leur niveau de maturité.
2. Orienter les choix à partir des objectifs
Les approches de gouvernance répondent à des logiques différentes qu'il faut aligner sur les objectifs poursuivis. Une organisation visant la conformité réglementaire ne fera pas les mêmes choix qu'une autre cherchant l'autonomie des équipes ou la création de nouveaux services.
Lorsque la mise en conformité domine, l'approche administrative formalise responsabilités et processus opposables, tandis que la structuration facilite la documentation. Les approches décentralisées comme le Data Mesh deviennent alors prématurées, créant une tension entre rigidité nécessaire et besoins métiers. Une banque soumise à BCBS 239 combinera ainsi approche administrative et structuration documentaire pour assurer traçabilité et conformité, tout en gérant la frustration des équipes opérationnelles face aux contraintes.
La création de valeur appelle une tout autre logique. L'approche fonctionnelle améliore les usages, la patrimoniale offre une vision d'ensemble des actifs, et la transformationnelle exploite activement la connaissance. Une gouvernance purement administrative devient alors un frein. Dans une entreprise de logistique, l'approche patrimoniale centralise les données de flux pour optimiser les itinéraires, mais doit composer avec les optimisations locales des sites qui peuvent diverger de la vision globale.
Pour l'amélioration continue, l'approche systémique structure la capacité de gouvernance elle-même, tandis que l'approche intégrée diffuse progressivement des pratiques fiables. Les approches rigides inadaptées à l'incrémental créent alors une tension entre sophistication des modèles et action concrète. Il faut éviter de se perdre dans l'évaluation au détriment de l'amélioration réelle.
L'autonomie des domaines privilégie naturellement le déploiement distribué ou le Data Mesh, permettant à chaque équipe de porter ses responsabilités. Mais sans cadre minimal, la fragmentation menace. La tension entre autonomie locale et gouvernance minimale nécessite des mécanismes de coordination subtils pour maintenir la cohérence sans recréer la centralisation.
3. Gérer les conflits entre approches combinées
La réalité impose souvent de combiner des approches contradictoires. Le conflit le plus fréquent oppose contrôle et autonomie : l'approche administrative impose des règles strictes tandis que la distribuée prône la liberté. La résolution passe par une distinction claire entre le non-négociable (données réglementées, sécurité) et l'adaptable localement (formats, outils, processus détaillés).
Un autre conflit oppose documentation et action. L'approche de structuration peut paralyser par excès de formalisation, tandis que la fonctionnelle privilégie l'action immédiate. La solution : documenter dans l'action en intégrant la capture de connaissance dans les processus opérationnels.
La tension entre vision globale et optimisations locales se manifeste quand approches patrimoniale et fonctionnelle coexistent. Les équipes optimisent leur périmètre sans vision d'ensemble. Des mécanismes de coordination transverse - revues régulières, indicateurs partagés, arbitrages explicites - maintiennent l'alignement sans brider l'initiative.
4. Des profils organisationnels pour incarner les choix
Le contexte organisationnel pèse fortement sur la soutenabilité des approches. Culture, centralisation, maturité et histoire façonnent les conditions de mise en œuvre.
Dans les groupes internationaux normés (banque, assurance, santé), les exigences réglementaires dominent. L'approche administrative s'impose comme fondation, complétée par une structuration documentaire et une logique systémique. Le risque principal : la déconnexion avec les métiers qui développent des pratiques parallèles. Pour l'éviter, il faut impliquer les métiers dès la conception et créer des espaces d'expérimentation encadrés.
Les entreprises de taille intermédiaire en transformation (industrie, logistique, énergie) visent l'optimisation et l'efficacité. La gouvernance doit accompagner les métiers dans leurs usages quotidiens. Une approche fonctionnelle, appuyée par une logique patrimoniale, répond à ces besoins. L'échec survient quand on sous-estime la résistance au changement, multiplie les initiatives non coordonnées, ou néglige la documentation au profit de l'action immédiate.
Les collectivités publiques doivent assurer équité et transparence tout en intégrant des services fragmentés. L'approche administrative pose le cadre légal, enrichie rapidement d'une structuration de la connaissance et d'un déploiement distribué pour impliquer les entités métiers. Les collectivités qui réussissent créent des communautés de pratique transverses sans hiérarchie forte. L'échec vient d'une approche trop descendante dans un contexte où l'autorité est limitée.
Les startups et entreprises innovantes exploitent les données pour personnaliser et accélérer. Toute approche descendante est perçue comme un frein. La gouvernance doit être portée au plus près via Data Mesh ou déploiement distribué. Le paradoxe : construire juste assez de structure pour permettre la croissance sans tuer l'agilité. L'erreur classique est de basculer trop brutalement vers une approche structurée quand l'entreprise grandit.
5. Dynamiques d'évolution
La gouvernance des données évolue selon les besoins et la maturité acquise. Trois trajectoires sont fréquentes.
Le passage de l'approche administrative vers la fonctionnelle survient quand les métiers s'approprient le cadre existant. Cette transition réussit si le cadre initial était suffisamment souple pour permettre l'adaptation locale. Le signal : les équipes commencent à proposer des améliorations plutôt que de subir les règles.
L'évolution de l'approche fonctionnelle vers la systémique devient nécessaire quand les optimisations locales créent des incohérences globales. Les silos d'excellence ne communiquent plus, les redondances se multiplient. Il faut alors structurer les capacités transversalement sans perdre les acquis locaux.
La transformation de l'approche de structuration vers l'approche intégrée exploite la connaissance acquise dans les opérations et décisions. Condition : que la documentation soit vivante et utilisée, pas seulement stockée. Cette évolution marque le passage d'une gouvernance subie à une gouvernance active.
Ces évolutions exigent une gouvernance solide, des relais internes, et souvent une phase de transition appuyée sur des retours d'expérience.
6. Les signaux d'échec à surveiller
Plusieurs signaux doivent alerter sur une transition qui déraille. La multiplication des contournements indique que les équipes créent leurs propres processus parallèles. La baisse de l'engagement se manifeste par une participation en déclin aux comités et des formations peu suivies. L'augmentation des incidents révèle des problèmes de qualité récurrents. Les tensions croissantes génèrent des conflits et des arbitrages systématiques en escalade. La complexification excessive rend les processus plus lourds sans gain visible.
Face à ces signaux, il faut savoir simplifier ou changer de trajectoire plutôt que de persister dans une voie inadaptée. L'humilité de reconnaître un échec partiel permet souvent de sauver la démarche globale.
7. Conclusion
Le choix des approches de gouvernance ne peut reposer sur des préférences ou des modes. Il doit s'appuyer sur une lecture attentive des objectifs, de la maturité et des contraintes internes. Mais au-delà du choix initial, c'est la capacité à gérer les tensions entre approches, à détecter les signaux d'échec et à faire évoluer le dispositif qui détermine le succès.
La gouvernance des données n'est pas un état stable mais un équilibre dynamique, constamment ajusté entre contrôle et autonomie, local et global, documentation et action. Les organisations qui réussissent ne sont pas celles qui appliquent la "meilleure" approche, mais celles qui savent orchestrer une combinaison évolutive adaptée à leur contexte.
Cette orchestration nécessite une vigilance continue sur les tensions émergentes, une écoute des signaux du terrain, et surtout une capacité à ajuster la trajectoire sans perdre de vue l'objectif. C'est sur cette base que peut s'envisager une gouvernance à la fois cohérente, utile et durable - une gouvernance qui sait évoluer avec l'organisation qu'elle sert.
Bibliographie
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